Mère de guerre
Opéra
Voici des indications sur chacun des rôles :
Par ordre d’entrée :
Le fils, septuagénaire, à la veille de sa mort, appelle son père, en dernier recours, c’est-à-dire celui qui pourrait, devrait être son protecteur… contre la mort, qu’il sent venir. Il a eu un malaise. Mais cet appel est paradoxal, car le père, déporté, n’a même pas pu jouer ce rôle de protecteur, quand son enfant était à peine né. Et il ne viendra pas davantage, au moment où son vieil enfant en aurait le plus besoin…
Ainsi, le fils, adulte, à l’agonie, revit son abandon enfant, alors qu’il avait deux ans : il se montre souvent quelque peu naïf comme un tout jeune enfant, et plein de reproche, car il n’a pas compris si petit pourquoi on l’a délaissé. D’où son conflit avec sa mère, qu’il accuse injustement.
Le parâtre est un vieillard vénérable de 100 ans, de modeste condition. Comme son métier était maître de cérémonie des enterrements, c’est à lui que revient la mission de conduire son pupille mourant, dans la mort. Sa présence est donc d’une certaine manière naturelle, sinon logique. Il est au-dessus des conflits comme un sage, mais à la fin, il est fortement contrarié, car il ne comprend pas que le fils ne choisisse pas de venir avec ses sauveurs et continuer à « vivre » avec eux. Par ses allées et venues, le vieil homme est le maître de cérémonie de toute la pièce, c’est lui qui conduit les âmes, qui permet leur confrontation. Il est comme un messager du destin. Un peu statue du Commandeur.
La marâtre, nonagénaire, est de même une femme du peuple, bonne âme, tout aussi digne, placide qui, comprend jusqu’à un certain point la jalousie de la jeune mère, mais qui craque quand la mère devine que cette vieille femme n’a pas pu adopter un enfant avant la guerre, et que se révèle qu’il y avait peut-être un problème dans le couple des vieux. Bonne pâte, « bonne maman », elle calme le jeu ; c’est elle qui détend l’atmosphère étouffante, jusqu’au moment où elle ne contrôle plus la situation, à l’issue des altercations, et que, touchée dans son amour-propre, elle se montre aussi agressive, et fortement déçue.
La jeune mère, à peine sortie de l’adolescence, est révoltée, car non seulement elle a perdu son enfant, mais on lui a volé sa vie : dans son enfant, elle vient, au fond, réclamer sa jeunesse. Elle aussi aurait voulu jouir de la vie jusqu’à 100 ans. Elle est contestataire, remet tout et chacun en question. Révolutionnaire, c’est une pasionaria, elle ose se montrer ingrate (non sans se sentir coupable), et essaie de blesser l’autre (le fils autant que la marâtre) pour tout de même faire sentir ne fût-ce qu’un peu de l’horreur qu’elle a subie, et se faire comprendre. Mais, finalement, au bout de sa « méchanceté », elle se révèle la meilleure, car elle s’efface, pour le bien de son fils, elle l’abandonne comme la première fois, aux mains de ces étrangers devenus si familiers, car avec eux, c’est la vie, et non le néant, comme avec elle.
Les termes de parâtre et marâtre, - qui signifiaient au début, au moyen âge, simplement deuxième père et deuxième mère ou beau-père et belle-mère, - sont devenus péjoratifs.
Je les ai néanmoins gardés pour désigner ces parents de guerre. Car eux, qui pourraient apparaître trop angéliques avec les mots de parrain et de marraine, ne sont pas des saints. Ils en sont d’ailleurs plus héroïques. On voit qu’ils ont des défauts (ils se vexent, notamment, ne comprennent pas bien que la mère voudrait son enfant enfin pour elle, bref sont un peu égoïstes, humains). Certes, ils ont sauvé l’enfant au risque de leur vie, et assurément avec des parrains on vit. Mais voilà qu’ils se présentent pour amener leur « protégé » dans la mort. C’est toujours par bonté d’âme. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Venus de l’au-delà où ils veulent entraîner « leur » petit, ils ont quelque chose de diabolique… Le fils a beau dire qu’avec le mot « parâtre » il remet à l’honneur un vieux mot, qu’il lui attribue, dit-il comme un « titre », il commet une sorte de lapsus, où il révèle sa crainte devant la venue de son patriarche, avec sa mission infernale.
Tels sont parmi les traits de caractères que l’on peut trouver en chacun des personnages et que vos interprétations m’ont parfois mieux fait comprendre.
Question : la pièce est-elle autobiographique ? Je n’ai jamais vu mes morts venir me parler. Et mes sauveurs réels avaient bel et bien une fille…
Adolphe Nysenholc